LES ÉCAILLES DU PEINTRE - Texte de Lucas FOUCHARD

 

 Courbet peignait ses Truites, mais ici, c’est un autre type de poisson qui nous intéresse… Les écailles de ce poisson-là font peau neuve à loisir, refusant souvent la figuration, accumulant les couches de matériaux divers au gré du ressenti de l’artiste. Lorsque Kovel mue sur un support, c’est pour y laisser une délicate poésie où s’imbriquent amoureusement le métal vieilli et les autres déshérités de la décharge.

On plonge volontiers dans cet océan, magie des dédales où fusent les dorures, la rouille et les oxydations turquoise sur le cuivre. Un instant, on se croit parti dans un abysse où les filaments corrodés deviennent coraux, où une plaque vert-de-gris se fait sable doux sous la lumière aquatique. Puis le regard se porte ailleurs, autrement, et les coraux se changent en arbres, les triangles de fer se réinventent montagnes.

Si une interprétation multiple de l’œuvre est possible, ce n’est pas seulement parce que l’abstraction laisse libre cours à l’imaginaire ; c’est surtout parce que la matière elle-même sait suggérer les concepts les plus chers à notre ère contemporaine : nature et artifice, brut et raffiné, ensemble et fragment… Kovel respecte le hasard, en lui laissant le soin d’altérer les futurs éléments de son travail selon les aléas du temps, des intempéries –mais que l’on n’aille pas croire l’œuvre due à une question de chance : chaque tableau est savamment agencé, chaque morceau fixé pour répondre à une harmonie de couleurs et de formes.

Le rendu donne parfois lieu à des séries où les toiles se répondent et se complètent, comme celles où se côtoient de grands troncs de bouleaux –en fait de longues lamelles émaillées-, plus théâtre d’arbres que théâtre d’ombres –mais comme au théâtre, les décors se superposent, laissant l’impression d’un espace profond, à portée de main : sur terre comme en mer, il est possible de se perdre un instant en contemplant un de ces tableaux. Et lorsqu’il neige des petits éclats de métaux colorés sur les monts cuivrés, eux-mêmes plongés contre un ciel écarlate, qui saurait dire si l’on est encore sur Terre ?...

Lucas Fouchard